Des forêts de pins verdoyantes de la côte landaise, dans le sud-ouest de la France, aux paysages exceptionnels de l’Himalaya, le chercheur Emmanuel Ducourneau s’interroge sur le lien entre l’Homme et la nature, les designers et la matière vivante.

En 2020, cet ancien designer a terminé une thèse à BESIGN The Sustainable Design School, soulignant l’importance d’être orienté innovations. Emmanuel Ducourneau espère désormais fournir aux designers un précieux outil de cartographie pour les aider à créer des produits plus durables, réduisant à la fois les enjeux environnementaux et sociaux.

1. En quoi la cartographie peut-elle révolutionner le futur du design ?

Emmanuel Ducourneau : Vous n’imaginez pas un marin naviguer sans carte ! De la même manière, un designer doit avoir une bonne connaissance des écosystèmes qui sont impliqués, pour le meilleur ou pour le pire, par les produits qu’il crée. La plupart d’entre nous ignorent qu’une puce électronique peut en réalité comporter jusqu’à 500 étapes dans son processus de fabrication et impliquer le travail de près de 16 000 sous-traitants, selon le journaliste français Guillaume Pitron. Lorsqu’il s’agit d’analyser l’impact d’un accessoire de mode bien connu et conçu par une célèbre entreprise française, il peut facilement parcourir plus de 400 millions de km2.

 

Je développe actuellement un outil de cartographie en partenariat avec le CNRS, qui permettra aux concepteurs de mesurer un large éventail d’influences notamment sur l’atmosphère, les plantes, les minéraux, les humains, les industries et les administrations, à travers l’évaluation de la dimension invisible des chaînes de fabrication, par exemple, comment un haricot actuellement cultivé au Pakistan peut devenir un épaississant utilisé dans une teinture pour tissus. La cartographie est un outil prometteur qui, d’une part, vise à réduire l’empreinte de tout produit, permettant aux experts de repérer les risques sociaux et environnementaux, et d’autre part, à connecter les concepteurs à la matière vivante. Le design orienté être, à travers la cartographie, n’est ni une démarche marketing ni une démarche militante puisqu’il s’agit de révéler le meilleur et le pire, l’enchantement et le désenchantement.

 

2. Comment incarner le Design Durable ?

Il faut ramener le plaisir et la poésie dans le processus d’innovation ! En tant qu’ancien designer, je me suis rendu compte que lors de la création de produits, nous sommes la plupart du temps déconnectés de la matière vivante. Pensant le design de manière plus durable, certains designers ont privilégié par exemple une approche low-tech, d’autres ont suivi les principes de la « bricologie », c’est-à-dire créer en utilisant les matériaux de leur environnement direct, leurs potentiels, et en adoptant une approche plus sensorielle car c’est la clé de l’innovation. Néanmoins, ces notions sont encore associées à un retour en arrière, à un manque de qualité et même à la pauvreté, dans l’esprit de la plupart des gens. Notre vision doit changer ! Il faut s’engager dans une culture low-tech et « bricologique » ! Ces méthodes sont certainement de nouvelles façons d’atteindre l’excellence.
« Être au plus près de la matière et des êtres vivants est une condition indispensable pour faire plus et mieux avec moins ! »

3. Comment un designer doit-il développer ses compétences sensorielles et cognitives ?

Contrairement au fabricant qui façonne des produits correspondant à un système particulier qu’il a préalablement créé, l’artisan innove avec ce qu’il trouve dans son environnement direct, des matières premières comme le bois, la soie ou l’eau aux objets déjà utilisés. De cette façon, l’artisan forme son attention, améliore ses capacités sensorielles et développe son intuition, à travers la connexion qu’il a avec son environnement, résonnant ainsi positivement. Il transforme un fragment du monde et en même temps, il se transforme lui-même!

Pendant des siècles, les artisans qui utilisaient des teintures pour leurs tissus devaient faire attention au climat car l’humidité, la température et la pression atmosphérique avaient un impact important sur le processus de teinture. Un exemple qui montre qu’être au plus près de la matière et des êtres vivants est une condition indispensable pour faire plus et mieux avec moins !